Camion de marchandises chargé sur un wagon ferroviaire dans une plateforme intermodale, illustrant le ferroutage en France comme solution logistique durable pour réduire les émissions de CO₂, désengorger les axes routiers et améliorer la performance du transport de fret.

Ferroutage : vers une révolution durable du transport de marchandises en France

Alors que les camions continuent de dominer les routes françaises, transportant près de 90 % des marchandises du pays, les limites de ce modèle logistique commencent à se faire sentir. Saturation des axes autoroutiers, pression environnementale croissante, exigences toujours plus fortes liées au e-commerce : le transport routier, longtemps symbole d’efficacité, se heurte aujourd’hui à des défis majeurs. Dans ce contexte, le ferroutage — ce mode de transport combinant rail et route — suscite un regain d’intérêt.

À la croisée des impératifs écologiques et des enjeux de performance logistique, cette solution offre une réponse structurante, bien que perfectible, aux transformations du secteur. Moins émetteur de CO₂, plus sûr pour les marchandises comme pour les conducteurs, soutenu par des politiques publiques ambitieuses, le ferroutage s’impose peu à peu dans les débats. Reste à savoir s’il peut réellement concurrencer un transport routier bien ancré dans les habitudes économiques et organisationnelles des entreprises.

Ferroutage : une réponse innovante aux défis de la logistique moderne

Le poids croissant du transport routier en France

Depuis trois décennies, la France connaît une intensification continue du transport de marchandises par la route. Entre 1990 et 2020, le trafic routier de fret a augmenté de près de 40 %, en raison notamment de la croissance du commerce interrégional, de la mondialisation, mais aussi des bouleversements provoqués par la montée en puissance du commerce en ligne.

En 2024, cette tendance ne s’est pas inversée : selon le Service des données et études statistiques (SDES), près de 89 % des volumes de marchandises transportés en France le sont toujours par la route. Ce choix majoritaire repose sur une combinaison de facteurs logistiques et économiques, notamment la rapidité, la flexibilité géographique et la fréquence d’acheminement inhérentes au transport routier.

La Révolution du e-commerce et transformation des pratiques logistiques ont amplifié cette dépendance. Les consommateurs, désormais habitués à des livraisons en 24 ou 48 heures, imposent des cadences soutenues et souvent fragmentées. Ces flux tendus impliquent des parcours plus courts, plus fréquents, et nécessitent malgré tout une grande fiabilité, conditions pour lesquelles le mode routier reste largement privilégié à ce jour.

Vers une saturation des grands axes logistiques

Face à cette intensification sans précédent, les grands axes autoroutiers et les infrastructures logistiques commencent à montrer des signes de saturation évidents. Les zones périurbaines, notamment autour des grands centres de distribution, sont devenues des points névralgiques souvent congestionnés, générant des retards chroniques et une augmentation des coûts pour les entreprises de transport.

À terme, cette congestion pourrait affecter la compétitivité des entreprises françaises, notamment dans les secteurs industriels fortement dépendants d’une chaîne logistique précise et ponctuelle. Pour éviter ce scénario, il devient stratégique de repenser l’organisation des flux de marchandises et de diversifier les modes de transport. Dans cette optique, le ferroutage se présente comme une alternative structurante, capable de délester les routes tout en répondant aux enjeux environnementaux et logistiques du XXIe siècle.

Environnement, sécurité, compétitivité : les bénéfices du ferroutage

Une solution plus écologique face à l’urgence climatique

Dans un contexte où la décarbonation du transport devient un impératif stratégique, le ferroutage se distingue par ses atouts environnementaux. En moyenne, le transport ferroviaire émet neuf fois moins de CO₂ que le transport routier pour une même quantité de marchandises et une distance équivalente. Ce différentiel est d’autant plus crucial que le secteur du transport est responsable de près d’un tiers des émissions de gaz à effet de serre en France.

Outre les émissions de CO₂, la pollution de l’air générée par les poids lourds — notamment les particules fines et les oxydes d’azote (NOₓ) — est une source de préoccupation sanitaire dans les zones urbaines et périurbaines. Le recours au rail permet donc de limiter ces nuisances, tout en favorisant un mode de transport plus respectueux des écosystèmes.

Le ferroutage est particulièrement pertinent pour les longues distances et les axes européens stratégiques. Dans ce cadre, l’Union européenne vise un objectif ambitieux de report modal à hauteur de 30 % d’ici 2030. De plus, pour le transport de matières dangereuses, le rail reste une option beaucoup plus sûre, avec moins de risques d’accidents majeurs ou de contaminations environnementales.

Un mode de transport plus sûr pour les hommes et les marchandises

Le ferroutage constitue également un levier de sécurisation important pour les chaînes logistiques. D’une part, il réduit significativement les accidents de la route, qui impliquent fréquemment des poids lourds sur les grands axes. D’autre part, il permet de limiter les pertes, les vols et les dommages matériels encourus lors du transport routier sur longues distances.

L’impact territorial du rail est également plus mesuré. Contrairement aux infrastructures routières très consommatrices de surfaces foncières, les couloirs ferroviaires utilisent des tracés anciens, souvent mieux intégrés aux territoires. Les lignes dédiées au fret permettent par ailleurs de gagner en efficacité, avec des performances plus stables et une meilleure prévisibilité des délais, à condition que les interfaces intermodales soient bien gérées.

Des soutiens publics pour activer le shift modal

Les pouvoirs publics misent aujourd’hui sur le ferroutage comme vecteur essentiel de transition écologique dans les transports. L’État français, à travers des dispositifs d’aide et de subvention, cherche à rééquilibrer la compétitivité économique entre route et rail. Des mesures incitatives sont mises en œuvre pour soutenir la création et la pérennisation de lignes intermodales, tout en modernisant les infrastructures existantes.

Au niveau territorial, les collectivités s’engagent également via des partenariats public-privé ou des plateformes intermodales régionales. Des projets comme Rail Freight Corridors ou la relance de lignes capillaires fret illustrent cette volonté de redonner au rail une place stratégique dans la logistique nationale.

Enfin, la dimension intermodale du ferroutage s’inscrit pleinement dans une Logistique 4PL : une stratégie intermodale au service de la performance durable. En combinant l’expertise numérique, le pilotage centralisé et la coordination entre modes de transport, cette approche optimise les flux en réduisant les coûts et l’empreinte carbone.

Ferroutage : les limites structurelles à prendre en compte

La rentabilité reste le principal obstacle au développement

Bien que le ferroutage présente des atouts indéniables, sa rentabilité demeure l’un des principaux freins à son essor. Le transport ferroviaire est encore confronté à un désavantage économique face au transport routier, qui reste plus souple et, bien souvent, moins coûteux à court terme. En particulier, la phase ferroviaire du transport est rarement suffisamment rémunératrice pour amortir les investissements nécessaires à son bon fonctionnement.

Pour atteindre un seuil de rentabilité acceptable, il devient essentiel d’accroître le taux de remplissage des convois, de limiter les trajets à vide et de synchroniser finement les opérations intermodales. C’est dans cette optique que la SNCF s’est engagée dans une démarche de modernisation technologique et de digitalisation des processus logistiques, en intégrant davantage d’outils d’aide à la décision et d’automatisation des flux. Cette évolution repose également sur une optimisation des flux logistiques grâce à l’analytique prescriptive, désormais cruciale pour fiabiliser et rentabiliser les opérations ferroviaires.

Une offre encore éloignée des attentes du marché

Si le ferroutage veut véritablement concurrencer le transport routier, il doit répondre plus efficacement aux exigences des entreprises en matière de délais, de flexibilité et de qualité de service. Actuellement, l’offre ferroviaire souffre encore d’un manque de fréquence sur certaines lignes, rendant difficile la planification récurrente des expéditions.

Autre défi : le temps d’acheminement est souvent plus long qu’en camion, ce qui pénalise certains secteurs, notamment ceux opérant en flux tendu. La traçabilité, enfin, reste moins performante que celle du transport routier. La visibilité en temps réel fait encore défaut dans de nombreux cas, créant un décalage par rapport aux standards technologiques actuels. Enfin, l’efficacité des connexions entre les plateformes ferroviaires et les terminaux routiers demeure perfectible, ce qui limite l’attractivité du mode combiné.

Les risques liés au transbordement

Le passage d’un mode de transport à un autre est un moment sensible dans la chaîne logistique. Or, le ferroutage implique systématiquement au moins deux transbordements : au départ pour charger le camion sur le train, et à l’arrivée pour le décharger. Ces étapes supplémentaires accroissent mécaniquement les risques opérationnels.

  • Retards : chaque manipulation augmente les chances de décalage dans le calendrier d’acheminement, en particulier lorsqu’il s’agit de lignes saturées ou mal cadencées.
  • Dommages matériels : bien que le fret ferroviaire soit réputé plus sûr globalement, les opérations de transbordement peuvent générer des chocs ou des erreurs de manutention dommageables.
  • Erreurs logistiques : mauvais aiguillage, pertes de marchandises ou erreurs d’assignation peuvent impacter la fiabilité globale du service et entraîner des échecs de livraison.

La multiplication des manipulations logistiques induit donc une complexité qui nécessite une coordination rigoureuse, souvent difficile à atteindre dans les systèmes intermodaux peu digitalisés.

Un marché en voie de structuration malgré les freins

Malgré ces limites, le ferroutage entre dans une phase de structuration accélérée. Si le transport routier domine encore largement le paysage logistique français, l’appétence croissante pour des solutions durables crée de nouvelles opportunités de développement.

Les projets de hubs logistiques intelligents, l’intégration croissante des données dans la gestion de la chaîne d’approvisionnement, et l’amélioration des liaisons intermodales ouvrent la voie à un transport combiné plus fiable et compétitif. L’enjeu consiste désormais à imbriquer ces innovations dans des modèles opérationnels accessibles aux chargeurs, tout en alignant les performances économiques sur les besoins du marché.

À mesure que la pression réglementaire et environnementale s’intensifie, le ferroutage pourrait progressivement sortir de sa niche pour devenir un levier central de transformation de la logistique moderne, à condition de lever ses contraintes structurelles.

Le ferroutage s’impose aujourd’hui comme une solution d’avenir face aux limites du transport routier. Porté par des enjeux environnementaux, de sécurité et de compétitivité, il propose une alternative crédible pour décongestionner les axes logistiques tout en réduisant l’empreinte carbone. Bien que des freins subsistent — rentabilité incertaine, manque de flexibilité, complexité des transbordements —, les évolutions technologiques et les soutiens publics ouvrent la voie à un redéploiement du rail dans la chaîne logistique. Si les efforts de modernisation se poursuivent, le ferroutage pourra jouer un rôle clé dans la transition vers une logistique plus durable, résiliente et efficiente.

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